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Les informations du Cabinet François Carrara
« Les incertitudes économiques et financières qui marquent cette période nous ont inspiré ces réflexions que nous vous livrons : »
Suite à un article du Figaro d’oct. 2009 à propos de travaux d’un groupe de réflexion de 7 chefs d’entreprises qui s’interroge sur la création de nouveaux indicateurs de performance compatible avec le progrès social, j’avais adressé un courrier personnel à chacun d’entre eux.
Utilisons la crise pour repenser...les modes de pensées
Bien évidemment je n’ai reçu aucune réponse. Plus j’observe le monde actuel et écoute les nombreux collaborateurs de multiples sociétés, plus j’ai la conviction que les dirigeants de nombreuses entreprises ont perdu la main sur le management des ressources humaines.
Voici le texte principal de ce courrier. Nous reviendrons sur ce sujet dans le prochain Cerveautonique.
<<S’il est juste de considérer l’entreprise comme « un lieu majeur de construction de l’identité individuelle et de l’image du lien social » il est aussi pertinent d’y placer le point de cristallisation d’héritages culturels profonds, de son histoire, de sa vocation. Les finalités d’une entreprise ne limitent pas à ses performances mais ouvrent sur des dimensions plus élevées de rayonnement, de symboles, tant extérieurs qu’intérieurs.
Dans un monde où les valeurs sont faibles, les entreprises luttent pour leur survie en adaptant des stratégies agressives. Elles dépensent énormément d’énergie en concentrant leurs efforts sur les effets et peu sur les causes. Comme en médecine occidentale, elles concentrent beaucoup de forces à diviser, à sectionner à compartimenter en pensant que la connaissance du moindre détail permettra de connaitre....l’homme ! Pensez-vous que c’est en découpant en d’infinis morceaux le tableau de La Joconde que vous connaîtrez La Joconde ? Vous pouvez également vous poser la question si tous les soins chirurgicaux, médicamenteux, apportés à un cardiaque traitent les véritables causes de la maladie. On mettra certes en cause l’alimentation, le mode de vie, grâce à l’utilisation des statistiques sans toutefois approcher les causes réelles.
Alors si la science fonctionne comme cela comment s’assurer que nos modes de pensées sont adéquats ? Il n’est pas question de remettre en cause ce qui a été une source de progrès considérable ni d’en nier tous les mérites. En revanche nous devons prendre du recul et admettre (le cercle vicieux des déficits nous entraine à véritablement nous poser des questions) qu’une rupture s’est introduite dans ces modes de pensées et de comportements entrainant la perte des repères propres à une bonne conduite de la démarche de connaissance et des prises de décisions. La sagesse nous appelle en conséquence à retrouver un autre équilibre entre la rationalisation excessive et la mesure de la performance contre la vision globale et l’atteinte d’un niveau plus élevé (ou élévation) de l’état d’un groupe social.
Voilà ce qui peut constituer, à mon sens, le départ d’une réflexion sur la recherche des finalités et l’élaboration d’indices, non plus de performances, mais d’élévation. Autrement dit, comment s’assurer que ce qui est fait ajoute du sens, en retire, ou en détruit. Enfin, il est difficile d’envisager quoi que ce soit de sérieux sans apprécier la valeur relative du temps. Là encore, le fractionnement métronomique du temps par une science de l’exactitude obscurcit la compréhension. Les anciens le savaient, les orientaux l’ont conservé. Ce n’est pas par hasard si les chinois ont célébré dans tout le pays et avec force le 60ème Anniversaire de la Révolution soit cinq fois douze cycles non répétitifs entrainant une renaissance.
Dans le temps comme en matière de décision, la ligne droite est le chemin le plus difficile et le plus coûteux car c’est celui qui rencontre le plus d’obstacles. Alors la performance, c’est quoi ?
Crise ? Reprise ? Que faire ?
Comment y retrouver son latin !
A entendre les nouvelles qui viennent de tous les horizons, le moins que l’on puisse dire c’est que les signaux sont contradictoires.
Tout bon manager aura naturellement les yeux fixés sur son carnet de commandes, l’augmentation des coûts, les défaillances de paiements. Dans la tempête il est peu de temps à consacrer à la réflexion...et pourtant ! Cette crise-ci ne ressemble pas à un simple « coup de tabac » mais plutôt à une longue traversée hivernale dont on peut se demander si on arrivera de l’autre coté, quand et dans quel état en sortirons-nous.
A l’origine de la crise mondiale on peut ainsi résumer les causes généralement admises : politique de crédit et d’expansion monétaire sans précédent et quasiment sans limite accompagnée de déficits publics considérables. Cette politique a entrainé à son tour une explosion de la consommation -dont l’immobilier- à crédit, sans filet ; des bulles spéculatives considérables (et qui ne sont pas finies...i.e. : la Chine) ; une spéculation sans précédent, sur les matières premières notamment. Dans le même temps montait la conscience de la fin d’un modèle en vogue avec la prise en compte des effets écologiques et environnementaux et des déséquilibres sociologiquement insupportables entre pays riches et le reste du monde. Pour couronner le tout, plane une menace plus ou moins obscure de pandémie mondiale à base de virus tantôt portant des codes militaires -H5N1 - H1N1, tantôt désignant les coupables : Grippe Aviaire, Grippe Porcine...bref tout ce qui touche aussi à la « bouffe » et contient de quoi mettre en révolution le cerveau reptilien.
Bref, pour peu, ça ressemble à un remake des « 7 plaies d’Egypte » ! J’exagère ? Douce France qui regarde à la télé les effets dévastateurs de Katrina, les feux gigantesques d’Australie et de Californie ou des récentes inondations en Chine.
Justement, dans ces antiques temps où Athènes ou Rome prodiguaient leur sagesse, on consultait les Oracles, on apportait des offrandes aux Dieux et jurait de ne plus susciter leur courroux. « Regarde-toi toi-même et vois dans quel état tu t’es mis ! » Répondaient-ils.
Les protocoles ont évolués mais la démarche est immortelle.
En première impression de ce qui précède, il est clair que l’après-crise ne sera pas comme avant. En conséquence le terme « reprise » est inapproprié. Il n’y aura pas « reprise » de l’activité économique, sociale...mais transformation. (« Les experts » - OCDE, Banques Centrales - évaluent l’impact de ce qu’elles appellent « l’excédent de capacité de production » résultant de la baisse actuelle d’activité. La Deutsche Bank l’évalue à zéro, ce qui indique clairement que la disponibilité de ces surcapacités n’aura pas d’impact. Autrement dit il faut s’attendre à la persistance de l’inflation et du chômage).
Première conséquence : l’entreprise doit vigoureusement activer ses capacités de R & D, d’imagination et de créativité pour concevoir de nouveaux produits/services, de nouveaux modes de productions, d’organisation, anticipant les besoins futurs dans un contexte nouveau.
Seconde conséquence, le marketing et la communication doivent se livrer à une autocritique et s’adapter à de nouvelles attentes, de nouveaux modes de vie : lire les signes des temps et du changement.
En seconde impression : « ne plus offenser les Dieux !» Je veux tout simplement parler des bonnes pratiques de gestion et de management humain. Il s’est en effet constitué, depuis quelques dizaines d’années, un décalage croissant entre dirigeants et salariés (et usagers, citoyens) dont on peut mettre en avant ici quelques caractéristiques :
- remplacement progressif des dirigeants issus du terrain par des « financiers » avec pour conséquences :
- finalités de l’entreprise réduites à des objectifs de profit, (Lire note en fin d’article),
- perte de la compétence et des métiers,
- fuite du savoir faire, quand celui-ci n’a pas été perdu,
- perte de l’identité par rapport à la qualité
- dissolution progressive du contrat de travail psychologique - la partie non écrite du contrat de travail dans laquelle, contre son investissement personnel, un salarié attend un épanouissement personnel. Le père du concept s’appelle Edgar Schein. Il est également à l’ origine de celui de « culture d’entreprise ». Dans son livre Organizational psychology , il utilise le terme de « Contrat Psychologique » pour identifier les aspects implicites du contrat de travail : le collaborateur attend considération, encouragement, développement de son savoir faire et ses responsabilités. Pour E. Schein le concept est d’ailleurs inséparable de celui « d’ancrage professionnel » ou comment les individus conçoivent de faire carrière dans l’entreprise. Les conséquences de cette dérive sont ici :
- stress et démotivation intérieure,
- fragilité et peu de soutien du management intermédiaire,
- augmentation des comportements narcissiques au travail et leur corolaire : le harcèlement moral,
- déni de l’expérience et de la prise de recul.
Il est intéressant de constater que la revue Harvard Business Publishing du 1er sept. 2009 présente « Trois choses à savoir sur le leadership dans le corps des US Marines. Les Marines ont en effet une organisation reconnue pour sa haute efficacité...car elle s’efforce de donner le maximum de pouvoir à ses soldats au travers du leadership ». L’article expose :
1° la communication de la mission.
Les officiers sont évalués sur la manière dont leurs soldats comprennent leur mission et les rôles qu’ils doivent y tenir.
2° gagner le respect et non pas l’attendre.
L’autorité formelle n’a que peu de valeur dans le monde actuel. Pour diriger avec succès il faut gagner le respect. C’est le seul moyen d’assurer que la mission sera exécutée quand vous ne serez pas présent.
3° faire confiance à ses soldats.
Dans le respect des strictes règles d’engagement, le principe fondamental consiste à pousser la prise de décision jusqu’au niveau le plus bas et donner le pouvoir de faire ce qui doit être fait.
En conclusion.
Chaque dirigeant ou responsable d’une unité doit penser à mettre sa stratégie et ses troupes en ordre de bataille :
- en quoi les activités actuelles sont-elles prêtes à satisfaire l’évolution de la demande ? Quels sont les outils de mesure dont je dispose pour faire les évaluations nécessaires ?
- quel savoir faire dois-je développer ou acquérir pour faire évoluer mes activités ? (Produits, services, process, fabrication, organisation, ressources...)
- comment je formalise les évolutions des attentes de mes clients ? Qu’est-ce que j’apprends de mes clients ?
- quel est le point sur le leadership actuel, du haut en bas de l’échelle ? Une révision des pratiques managériales n’est-elle pas nécessaire pour redonner à mes troupes un moral offensif avec les moyens appropriés ? Dois-je auparavant opérer une remise à plat organisationnelle, culturelle, de mon entreprise, de mon unité ?
- et enfin : suis-je moi-même ouvert à des idées nouvelles ? Suis-je prêt à remettre en cause certaines de mes « croyances » ? Suis-je sûr de la solidité de mes connaissances ?
Dans un contexte de tant de mutations où le sens économique du mot « rareté » reprend toute sa signification, il n’a jamais été aussi important de réfléchir, de remettre au goût du jour ses outils de lecture, de revisiter les idées reçues. Et peut-être aussi le recours au conseil extérieur, jamais aussi précieux ?
« Entreprenez tout ce que vous pouvez, ou rêvez de pouvoir. Génie, pouvoir et magie accompagnent l’audace. » (Goethe)
François Carrara
Conseil de Synthèse
© Septembre 2009
Note sur le Profit :
Quand les dirigeants Japonais ont remis en ordre leurs entreprises autour de la démarche qualité, une certaine éthique s’est développée autour de la philosophie du Kyudo, discipline traditionnelle du tir à l’arc japonais, ou « La Voie de l’Arc », considéré par beaucoup comme le plus pur des arts martiaux.
La Vérité, dans le Kyudo, se manifeste dans le tir pur et bien pensé où les trois éléments de l’attitude, de mouvement et de technique s’unissent dans un état de parfaite harmonie. Un vrai tir au Kyudo n’est pas seulement un tir au centre de la cible, mais un tir où la flèche peut être considérée comme déjà existante dans la cible avant son lâché. (Ndr : l’intention précède l’action !) La qualité entoure la courtoisie, la compassion, la moralité et la non-agression. Un bon archer de Kyudo est une personne qui maintiendra son attitude et sa grâce même en période de grand stress et de grand conflit. La beauté rehausse la vie et stimule l’esprit. Dans le Kyudo, la vérité et la qualité sont considérées elles-mêmes comme belles. (On retrouve ici l’influence Zen dans la racine Shintoïste de cette discipline. - Arc, Arché, dans notre langue proviennent aussi de la racine grecque archê qui veut dire « ce qui est à la base, ce qui fonde » - voir les termes Arche, Archaïque, Archétype...- Le verbe Dzen, en grec, signifie également « vivre ». « Qu’est-ce que Dzen ? ». Homère répond : « regarder, percevoir la lumière du soleil).
Les japonais ont ainsi adapté la philosophie du Kyudo à leurs entreprises. Comme les archers pouvaient atteindre le cœur de la cible en tirant les yeux fermés, les dirigeants japonais considéraient que l’atteinte du profit ne faisait que mesurer le résultat de toute leur préparation mentale, physique, philosophique, humaine, technique, esthétique....Dans le fond, la sagesse est universelle !
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Précédents articles :
L’affaire de la Société Générale…
La célèbre banque pouvait elle éviter ce que l’on peut qualifier de «la plus grande dissimulation de l’histoire bancaire moderne » ?
En analogie, la question revient à se demander si on aurait pu éviter Tchernobyl, empêcher le crack de la Barings, et certainement de multiples autres opérations moins médiatisées…
Quelle rapport, me direz-vous ?
La surprise et l’onde de choc : quand ça éclate, c’est énorme !
L’ampleur des dommages.
La similitude des défaillances : le système de contrôle qui ne permet pas l’arrêt des opérations, le défaut de communication qui se révèle inadéquat pour exercer la vigilance nécessaire.
La personnalité caractéristique des personnages à l’origine de ces évènements à la fois brillante et redoutable, bien que différente : mais à chaque fois une seule personne réellement à l’origine de l’évènement.
Dans les deux cas anciens, maintenant bien connus, il ne s’agit pas au départ d’une fraude intentionnelle, mais des mécanismes de comportement qu’un individu va adopter dans une situation qui d’un seul coup le dépasse mais pour laquelle il croit pouvoir remédier SEUL !
L’individu s’affranchit alors des mesures élémentaires de communication et de sécurité. Dans le cas de Tchernobyl : il fallait arrêter le réacteur durant le test, or il a été relancé en violation de toute procédure. La chaine de communication a, par la suite, été catastrophique.
Dans le cas de la Barings, le trader a continué ses opérations en les dissimulant derrière des faux comptes et en fabriquant de faux contrôles.
Peut-on éviter ces situations ? Telle est la question essentielle.
Depuis l’origine des sociétés humaines, avant d’accéder à un niveau de connaissance élevé et obtenir les rôles de Chef, Sage et autre appellation, le novice devait passer par un long parcours initiatique de manière à lui assurer courage, caractère et sagesse. Les sociétés avaient appris à se méfier des hommes. Qu’est devenu ce parcours aujourd’hui ?
L’avènement de l’ère industrielle a multiplié les effets des erreurs. Apprenti sorcier, l’homme a acquis des pouvoirs encore plus grands. La survenance d’accidents de plus en plus coûteux a donné naissance aux procédures de contrôle, les règles de sécurité formelles sont apparues, puis les méthodes d’analyses des accidents/incidents. L’aviation est un domaine pionnier et exemplaire en la matière. Quand un accident se produit, voire un incident même unique, il est systématiquement reporté et analysé dans les plus brefs délais. Les mesures sont immédiatement prises pour y remédier, mais plus important encore, l’évènement fait l’objet d’une diffusion d’information immédiate avec les mesures à prendre pour l’éviter. Pilote depuis l’âge de 15 ans, ayant passé huit ans dans l’Armé de l’Air, j’ai pu constater le sérieux de ces mesures au Briefing du matin. Les incidents et accidents se produisent encore, mais combien sont évités ! Ceci prouve, au moins, que les procédures de contrôles aussi indispensables soient elles ne garantissent pas ZERO incident, il faut prendre soin d’analyser chaque évènement. Dans un univers où les statisticiens font loi et où l’on a de moins en moins de temps à consacrer à analyser, où peut-on aller ?
L’industrialisation a fait naître un excès de confiance avec sa cohorte de normes de qualité et de contrôles. La rationalité n’empêche pas l’impensable, hélas ! Et beaucoup d’évènements échappent …à tout contrôle ! Les politiques l’ont compris en prenant des dispositions au travers du « principe de précaution ».
La gestion des risques est devenue une science, mais l’appréciation des décisions reste essentiellement humaine. La problématique des risques est devenue complexe et souvent est appréciée comme une somme arithmétique alors que la réalité est autrement différente : elle se pose davantage comme le résultat d’une progression géométrique, voire exponentielle. Un individu peut gérer seul qu’un certain niveau de complexité. Au-delà d’un certain seuil, il ne peut plus, seul, canaliser les opérations. Il faut alors créer des structures d’équipes pour morceler les opérations. Constituer des échelles d’évaluation - de style Beaufort, Richter, etc. comme pour les tempêtes, les tremblements de terre - devient alors un outil d’appréciation du niveau des risques encourus. L’augmentation de la taille des marchés, des entreprises, des opérations constitue en soi une aggravation du risque.
La communication est évidemment une clé essentielle. Il est paradoxal de constater que tout le monde est bien évidemment d’accord sur cette proposition, mais à chaque nouvelle catastrophe, on évalue les dommages, les victimes…et le défaut de communication des messages d’alertes efficaces…Ouragan Katrina (août 2005), le Tsunami (décembre 2004) pour ne citer que les plus spectaculaires. Diriger c’est prévoir, dit on, et si nécessaire c’est prendre la décision de fabriquer les instruments de mesures adéquats à l’information nécessaire à la prise de décision…pas d’instrument, pas de mesure…pas de décision à prendre !
L’information est un tout autre domaine. Nous sommes entrés dans un univers où les informations explosent comme une super nova, mais à deux dimensions seulement. Le présent étant devenu le point central de l’observation de cet univers, (Chantal Delsol), le passé disparaît. Ce domaine pose les questions de la qualité et de la quantité. Comment en effet déterminer la pertinence d’une information sans prendre le temps de la relier à un ensemble, et lequel ?
La seconde question relève de la quantité. La quantité en tant que diversité et la quantité en tant que volume, d’échelle. Les médias, en tant que « tuyaux », permettent de faire circuler en temps quasi-réel des informations tous azimuts. Internet est ainsi devenu un média universel, une « toile » où tout et n’importe quoi peut être généré, mis en ligne et circuler. Dans ce contexte où le présent domine, le facteur émotionnel prend une place prépondérante. Le jugement, qui fait appel à la prise de recul à l’évaluation, à l’expérience, est de plus en plus souvent relégué au rang des accessoires encombrants. Une conséquence nous intéresse particulièrement : cet envahissement devient un mode de vie des générations Internet. Elle a donc un effet considérable sur le comportement des nouvelles générations. Nous reviendrons ultérieurement sur ce thème.
Les moyens informatiques actuels donnent une capacité inégalée de traiter l’information. Pour revenir dans notre sujet, nous poserons alors la question de savoir si cette capacité n’a pas précisément donné l’illusion d’un pouvoir sans limite. Dans le domaine financier, l’arrivée de nouveaux moyens informatiques - matériels et logiciels - a permis la création d’instruments financiers de plus en plus sophistiqués et les effets de masse, la possibilité de gagner plus d’argent avec des marges plus faibles. La banque étant, par définition, créatrice de monnaie, ces outils financiers ont permis l’explosion des « produits dérivés » débridés dont les marchés pèsent près de huit fois le PIB mondial réel…Certes, ces produits constituent un accompagnement nécessaire au développement de l’économie car les banques, en définitive acceptent de couvrir des risques pour les entreprises, des particuliers et des activités en leur offrant des services précisément de prises de risques. Mais ne sont-elles pas allées trop loin ?
Par ailleurs ces outils, et notamment les logiciels ont des failles redoutables, comme l’esprit humain qui les a construit. Ils peuvent être perméable à la fraude, soit volontairement en manipulant les informations pour les présenter le plus acceptablement du monde, soit par intrusion, notamment grâce à l’ingéniosité d’un individu. Il est étonnant d’apprendre que la crise du « subprime » aux Etats-Unis est soumise désormais aux investigations du FBI : «qui chercherait à démontrer que les banques émettrices de dérivés de crédits auraient sciemment constitué des packages de prêts douteux et de créances saines, avec ou sans la complicité objective des rehausseurs de crédit. Ces derniers ont-ils fermé les yeux pour faire du chiffre ? Ou sont-ils de simples victimes de la duplicité des banques d'affaires et de la complaisance des agences de notation ? » (Chronique Agora du 31 janvier 2008).
On passerait alors du « Management des Systèmes d’Information » à la « Manipulation des Systèmes d’Information »…
Dernier point et non des moindres : les politiques de Management et de Ressources Humaines. Le management est également victime de modes et il en est qui peuvent s’avérer mortelles pour cause d’anorexie…De nombreuses théories mettent en effet en avant la nécessité de diminuer les échelons de management pour donner à l’entreprise plus de souplesse et plus d’adaptabilité à l’évolution de ses marchés. Certes les objectifs sont louables, mais le discernement s’impose. La recherche d’économie à court terme a engendré des situations économiquement et socialement incalculables. C’est ainsi que les plus de 50 ans ont commencé à être mis systématiquement sur la touche avec pour eux la quasi impossibilité de retrouver un emploi. En France, cette politique a été largement encouragée par l’Etat qui a subventionné, grâce à l’argent du contribuable, les fameux « départs anticipés à la retraite ». Les départs en retraite n’ont pas et ne sont pas nécessairement précédés d’évaluation des postes à risques. Ces effets produisent des modifications des pyramides d’âges dans les entreprises, la disparition d’échelons intermédiaires d’encadrement. Il est intéressant de constater que des services entiers de sociétés d’activités traditionnelles ont des moyennes d’âge d’à peine 30 ans.
Plus important, « les jeunes » sont plus livrés à eux-mêmes, plus facilement déstabilisables et paradoxalement moins armés malgré les formations, séminaires et autres grandes messes auxquels ils sont conviés. On ne remplace pas le conseil ou le dialogue avec une personne qui a 30 ans d’expérience. La notion « en bon père de famille » n’est-elle pas ancrée dans le droit français, pour combien de temps encore ?
Le présent devient un hyper-présent, le passé dérange, l’expérience indispose. Une crise sociale est en train de fermenter, une crise économique pourrait rendre la situation explosive. Tant qu’il y avait de l’argent, du crédit, le système a dysfonctionné en douceur. Les gens commencent à réaliser qu’une grande partie de la société s’est appauvrie au fil des ans, matériellement et moralement.
En conclusion, ce constat nous entraîne vers une série de réflexions :
- Ne faudrait-il pas repenser la notion de risques, son appréhension, sa maitrise dans le cadre d’une organisation des hommes prise dans sa totalité humaine ?
- La course à la taille toujours plus grosse d’une entreprise ne doit-elle pas s’accompagner d’une réflexion sur ses métiers et la nécessité de garder l’agilité indispensable à leurs évolutions
- N’est-il pas devenu pressent de reprendre contrôle des systèmes d’information et de maitrise des projets et de leurs finalités ?
- Les bouleversements qui touchent les moyens de communication ne provoquent-ils pas un besoin urgent de repenser leurs objectifs, non pas exclusivement en terme d’aide à la performance, mais de cohésion et de formation à l’excellence ?
- Le temps n’est-il pas venu de donner du corps à la notion de globalité notamment en en pénétrant les ramifications qu’elle sous-tend, et se réinterroger sur sa stratégie ?
François Carrara
Conseil de Synthèse
© janvier 2008
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Un extrait du courrier publié en réponse sur le liquide visqueux et noir que serait le pétrole…par
La Chronique Agora [la-chronique@publications-agora.fr]
Enfin, F.C. nous livre une longue méditation sur l'énergie mais aussi sur la science et le progrès :
"Je ne partage pas vos conclusions concernant l'avenir du pétrole et de la société occidentale. La description que vous faites : 'liquide noir et visqueux' me conduit à questionner votre compréhension des enjeux. Depuis au moins la moitié des années 60, les économistes pétroliers ont montré l'absurdité de brûler du 'pétrole' dans des moteurs à explosion car cette noble matière devait être réservée à la pétrochimie et la chimie. En effet une petite cuiller à café de ce liquide renferme plus d'un milliard de molécules différentes. A la fin des années 70 le point de substitution fixait une fourchette à 60-80 $ le baril. Beaucoup de production électrique était encore à base de charbon et de fuel lourd. L'arrivée de l'ère nucléaire a permis d'envisager d'autres formes massives de production d'énergie, sans toutefois être en mesure de rassurer complètement sur le long terme. D'où un certain atermoiement politique. Pour quelles raisons ? Les causes doivent être cherchées en priorité sur le plan scientifique et industriel et non économique/financier (du moins pour comprendre cette situation historique et l'ordre des priorités) : l'avancement de l'état des sciences de la recherche et des process industriels ne permettaient pas d'apporter des pistes concrètes de solutions. Les trois sont en effet intimement liés et rien ne sert de concevoir si on ne sait pas encore fabriquer les matériaux qui devront être mis en œuvre. Illustration : les motoristes ont su concevoir des réacteurs d'avions (années 70) plus économes et plus silencieux 20 ans avant leur mise en services. Pourquoi tant de temps ? Parce que la sidérurgie, traversant une grave crise, n'avait plus les moyens d'investir dans la recherche et produire les qualités d'acier pouvant être mis en œuvre dans ce type de réacteurs. L'aéronautique a donc du attendre".
"Que peut-on tirer de ces enseignements ? Le court terme l'emporte parce qu'il ne peut s'appuyer sur des considérations hypothétiques, propres au long terme. L'énergie est une ressource quasiment infinie. C'est sa canalisation qui est plus problématique. Le recours à l'énergie évolue aussi dans deux dimensions diamétralement opposées. A la fois des besoins massifs : chauffage, transport, process de transformation, et des économies considérables : de moins en moins d'énergie est nécessaire pour communiquer et cette tendance n'en n'est qu'à son début. Illustration : le téléphone, Internet"...
"L'ajustement du court terme au long terme se fait par des ruptures, des fractures. Rien de surprenant à cela depuis que l'on connaît la théorie des fractales. Il est constant d'observer dans l'histoire de l'homme que ces ruptures ont accompagné, voire encouragé, les conquêtes économico-militaires, les destructions, les brassages, les reconstructions. Un professeur d'électronique de l'ENSERB de Bordeaux expliquait à ses élèves la différence entre découverte et invention. La première est la compréhension par l'homme d'une loi de la nature (le feu, Newton, la thermodynamique, l'électricité...). La seconde est une création pure de l'esprit de l'homme : la roue (elle n'existe pas dans la nature, mais elle a changé radicalement le mode de vie de l'homme, elle est à l'origine des conquêtes militaires) ; l'imprimerie (de même, elle est à l'origine des guerres de religions). Ces inventions se sont accompagnées des plus grands conflits régionaux...Quelle est la dernière grande invention depuis ? Le transistor, expliquait ce professeur d'électronique...vous imaginez la suite. Entre le premier poste radio (à huit transistors !) que j'ai soigneusement conservé et des puces, il y a un gouffre ? Non, pas plus que quelques pas... et beaucoup d'ivresse ! La multiplication des outils financiers et leur perte de contrôle n'est-elle pas la conséquence de l'illusion de pouvoir que nous donnent ces petites merveilles ? Que nous réserve cette invention ? Peut-être un changement radical de nos modes de vie, vraisemblablement pas sans troubles longs et majeurs. Les clés ? C'est comme dans l'histoire de Nasrhudin, il ne faut pas les chercher sous la lumière du réverbère mais dans l'ombre".
François Carrara
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La crise du subprime est-elle réellement la cause de la crise financière actuelle ?
Faut-il craindre une récession ?
Que vont devenir les marchés financiers dans un climat d’incertitude ?
La crise financière actuelle trouve ses causes dans un ensemble d’éléments différents aux conséquences convergentes. Pour faire court…
En premier l’explosion des instruments dérivés dans un marché qui est devenu débridé.
La nouvelle puissance des outils informatiques a donné l’illusion qu’il était possible de piloter des outils de plus en plus sophistiqués tout en gardant le contrôle. La globalisation a ajouté une nouvelle dimension d’échelle aux opérations, laissant croire que l’on pouvait édifier des constructions sans limites sans se poser des questions sur la capacité de la structure à y résister. En matière de gestion de risques, en effet, il est des empilages dont les conséquences ne se mesurent pas par des additions mais par des progressions arithmétiques, géométriques ou logarithmiques. Les dispositions pour gérer ces risques doivent alors changer de nature.
Les économistes ont attiré l’attention depuis des décennies sur les conséquences de l’absence d’une banque mondiale qui serait chargée de contrôler et réguler les monnaies, les échanges entres banques centrales, au plan de la planète. Mais personne n’en a voulu, chaque pays ayant ses bonnes raisons pour justifier les mérites d’un statu quo : USA, Japon et Allemagne.
L’inflation est une préoccupation qui est restée dominante dans l’esprit des grands financiers internationaux et c’est ainsi qu’a été établie la feuille de route des principaux instituts d’émission.
Les causes de l’inflation sont historiquement identifiées : la création d’une richesse non justifiée par la création de valeur. Les plus grandes périodes d’inflations connues par le monde occidental se sont déroulées par cycles pendant des dizaines d’années après le retour en Espagne des conquistadors avec leurs vaisseaux chargés de l’or sud américain.
L’augmentation des liquidités engendre, de-même, une abondance de monnaie sans réelle contrepartie. Quel sens ont aujourd’hui les prix ? Où quel sens prennent-ils ? Ce n’est pas la même question.
Que valent alors les actifs ? Ce que l’acheteur veut (ou peut) bien payer quand vous les mettez en vente, à défaut, l’engagement de garantie d’un assureur éventuel. L’Etat par exemple est un intervenant pour soutenir certains prix….jusqu’à un certain point !
Le problème des marchés c’est qu’ils fonctionnent plutôt correctement quand ils tournent sans gros à-coups. Ils peuvent se gripper et ne plus fonctionner comme « régulateurs » quand leurs finalités, équilibrer l’offre et la demande, s’écarte trop des points d’équilibre. Les vendeurs prennent alors des positions défensives et les acheteurs des positions offensives, les considérations stratégiques prennent un tournant.
D’un cercle vertueux, on passe à un cercle qui peut devenir rapidement vicieux.
Si la vertu est la mère de la croissance, la rupture des équilibres entraîne alors nécessairement la récession. Le retour à l’équilibre ne pouvant se faire que par le bas, plusieurs scenarii sont possible. Le premier est un ralentissement de la croissance. On dirait que nous y sommes déjà ! Le second est une récession (y compris récession/stagflation). Comme dans les régimes amaigrissants, la question est de savoir si la cure apporte du bien…sans s’éterniser et en sachant qu’elle ne sert que si elle s’accompagne de prise de nouvelles bonnes habitudes. Le troisième est une dépression. La sortie en est plus délicate.
On ne peut vraiment dire d’avance si le pire scenario est devant ou derrière soi. Les outils macroéconomiques ne permettent guère plus que du pilotage à vue : la difficulté fondamentale provenant du fait que les mauvaises nouvelles ne viennent pas toujours là où on les attend, d’où leur sur-impact psychologique et émotionnel.
Dans ce contexte financier se joignent des considérations économiques fondamentales (rappelons que l’économie est l’art de lutter contre la rareté). En effet, la demande de matières première presque toutes catégories explose alors qu’il faut des investissements très lourds pour augmenter l’offre (Passer de la recherche minière au développement minier met des années voire des dizaines d’années…). Malthusianisme obligeant, l’augmentation de la population mondiale et l’élévation du niveau de vie de la plupart des régions du globe créée une impasse agroalimentaire. Le pétrole dont l’unique vocation devrait être la chimie est misérablement brûlé dans des moteurs, majoritairement pour les transports, accessoirement pour produire de l’énergie…il y a peu de signes pour que l’on « renverse la vapeur », si j’ose dire ! La pollution atteint des niveaux d’alerte sans précédent, et dans certains pays, comme la Chine, le point de non retour est hélas très largement dépassé. A tel point que des biens que l’on considérait comme « libres » au XIXème s. sont aujourd’hui menacés de rareté : l’eau potable, l’air qu’on respire
Comme à chaque tournant technologique les solutions existent, mais leur mise en place se heurte le plus souvent à l’inertie de conservation du système en place…On ne remplace pas non-plus des centrales au charbon par du tout nucléaire en un jour, comme on ne passera pas de la fission à la fusion en une décennie.
Comme les choses ne sont pas faites pour être simples, s’ajoute la question des tensions Nord-Sud, où plus exactement pays qui s’en sortent contre ceux qui ne s’en sortent pas (Ce n’est pas toujours une question d’opposition entre richesse et pauvreté) ; et celle assez nouvelle du terrorisme international (Au lendemain du 11 septembre les professeurs considérés comme spécialistes de la question expliquaient déjà que l’Histoire ne serait plus comme avant…).
Entrons-nous alors seulement en récession ? Historiquement, il est démontré que les guerres ont été précédées par une envolée durable des prix des matières premières. Faut-il craindre ce genre de crise ? Je pense que c’est hautement improbable, pour deux raisons principales. Il est démontré (théorie des jeux) qu’aucune grande puissance n’a plus intérêt à passer par là pour « recourir à ses fins économiques par d’autres moyens » (reprenant en proposition inverse la célèbre phrase de Clausewitz) ; la seconde est liée à la quasi disparition du sentiment nationaliste se nourrissant de conquête. (Aujourd’hui il se nourrit plutôt de repli identitaire).
Comme dans les machines déréglées, il va y avoir des parties qui vont s’emballer et d’autres s’arrêter. Des secteurs de l’économie qui vont bondir, d’autres s’arrêter. Et puis ceux qui vont bondir vont s’arrêter, victimes d’un monde où la boule change de camp quand on la perd, d’autres vont repartir.
Comme le remarque la philosophe Chantal Delsol, nous sommes entrés dans un monde qui privilégie la conquête d’un espace aplati où tout ce qu’il connait advient pratiquement dans cet instant « t » d’à présent. Cette culture remplace celle du temps où l’on recherchait la profondeur, la compréhension de toutes les choses cachées dans la poussière des siècles.
Sommes-nous alors à l’aube d’une nouvelle révolution ? Pour cela, serait-il suffisant que les classes moyennes, devenues pauvres, prennent le pavé ? A moins que nous ne soyons entrés dans une phase de correction de l’ivresse des excès que nous avons outrancièrement engendrés. Vision la moins pessimiste.
Attention à ce que le monde de l’éphémère ne devienne pas un monde de chaos.
Que vont devenir les marchés financiers ?
Ils vont vivre aux rythmes des secousses mondiales d’une part et des situations apparaissant sur les marchés émergents de l’autre. La solidité des sociétés dépendra de la maitrise qu’elles exercent sur leurs marchés : technologie, véritables positions dominantes, secteurs réellement en développement, vulnérabilité à certains facteurs, pour les sociétés occidentales. Pour les nouveaux arrivants, la métaphore de la maison construite sur le sable pourrait bien s’appliquer. D’un coté, il n’y a peut-être plus de valeurs refuges, de l’autre, des mirages ?…à part l’or !
Pour le particulier, chez-nous, la situation est particulièrement incertaine. La question fondamentale que l’on pourrait poser à nos autorités aujourd’hui, à la fois pour soutenir nos PME et rassurer nos retraites, est la suivante : le temps n’est-il pas venu de remettre à l’ordre du jour les fonds de pensions à la française ?
François Cararra
Conseil de Synthèse
© janvier 2008
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